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               C’est dans les lenteurs propres au voyage au long cours, celles propices aux rêveries, encore exaltée par les rencontres passées, gonflée par la promesse de celles à venir, qu’a vu germé en moi un vif désir ; désir de prolonger le contact de cette main d’enfant, de faire en sorte que ne se dissipe pas tout à fait sa chaleur au creux de la mienne.

            Puisque le voyage est un éloge de l’éphémère, puisse mon pinceau en figer certaines âmes. Puisse mon pinceau en nommer les flammes !

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            C’est de retour qu’un dialogue intime petit à petit prend place, je bafouille, ne comprends pas de suite mes traits maladroits, encore trop loin de ce que je vois. Les pinceaux s’engluent sur un vague carton  alourdi de peinture, les couleurs s’embrassent: voilà un œil qui s’ouvre, plus tard  un visage qui bataille pour prendre surface, derrière cette bouche à gros coup de couteau  me reviennent les mots, les éclats, les murmures.

C’est un dialogue du passé, d’un autre monde qui reprend vit entre mes murs dans le présent. Sans un bruit. ..

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         « Dialogue silencieux »  est le fruit d’un travail passerelle pour accueillir l’ailleurs ici.

Chaque personnage est le fruit d’une rencontre, d’une histoire.

C’est donc bien avant la production en atelier que la démarche est entamée.                     En engageant mon propre corps dans l’expédition, l’œuvre s’accomplit d’ores et déjà  dans le voyage.  Rencontre entre deux altérités, entre deux personnes, deux cultures. Le rendez-vous est à la fois mon motif de déplacement mais aussi  mon accomplissement.

Et si de retour, dans les replis de mon propre pays, au détour d’une arche, à l’orée de cet ilot ensoleillé agrémenté d’une fine fontaine, sous les voutes d'une gallerie pouvait se donner rendez-vous un passant curieux, avec un personnage de là-bas ? Et si de cette rencontre  furtive,  se pouvait s’entreprendre  une discussion muette ?

                                            Une passerelle serait-elle lancée ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Ma palette arrogante, mes supports taille humaine, permettent à mes personnages  de s’imposer en allant au-devant de ce passant hésitant, de briser l’écart de deux mondes  en amorçant un dialogue  avec lui.

Afin d’initier la rencontre, but ultime du déplacement, j’ai donc voyagé en marchant, mis « des galets dans mon sablier »1 pour laisser les paysages se découvrir aux rythmes de ceux qui les habitent.                           

            Cette manière d’appréhender le voyage m’a permis une immersion fabuleuse, seule à la rencontre de certaines tribus du nord du Laos, du Myanmar, timide spectatrice d’un univers différent.

Jouissant souvent de la curiosité non feinte des uns et des autres, d’enfants interloqués mais aussi apeurés, contacts fragiles, subtils et éphémères. Fouler du regard ceux qui m’entourent, rester y dormir, repartir…  Repartir pour entamer ce travail de peinture me faire passeuses d’entre deux mondes pour initier des « rendez-vous ».

 

 

           Conjointement au rôle d’entremetteuse dans laquelle je me suis glissée au travers ces « dialogues silencieux », ma volonté de donner une consistance à la rencontre sur place a  été le point de départ d’autres réalisations artistiques. Réalisations marquant subrepticement mon passage en mettant en lumière certaines rencontres, certains habitants de ces bourgades reculées.

J’ai redéfini  la notion d’itinérance et d’éphémère en laissant sur mon passage, fresques grandeur nature, portrait ;  une manière de rendre au pays, à ceux qui le peuplent.

Il m’a fallu me défaire de la notion d’atelier comme lieu unique de production, investir le paysage me fondre dans les villages; en  Bolivie aux confins de l’Amazonie, dans le sud désertique, à la rencontre des peuples Quechuas, c’est autour de la peinture qu’a pu se voir converger nos deux  langages. Expérimenter l’art à des fins d’interaction et de communication.

 

 

« Dialogue silencieux » recoupe finalement un  double travail artistique : celui de l’ici et celui du  là-bas :

« Là-bas », les réalisations favorisent la rencontre sur place et permettent un dialogue.

« Ici » un dialogue se poursuit entre concitoyens et peuples lointains.

 

Pourrais-je caresser ainsi l’idée de les avoir lancées, ces passerelles dans la nuit ?2

 

 

               Comment  en travaillant sur la notion de pont d’entre deux mondes, ne pas terminer « dialogue silencieux »,  par le questionnement que soulève l’actualité aux sujets de  ces «  passerelles » humaines ?

           «  Eux c’est nous » 3   ouvre une  page sur les  frontières étatiques séparant deux  mondes, deux zones souvent synonymes de décennies de fiascos et d’incohérences des politiques migratoires et d’accueil.

Comment un monde peut-il à la fois promouvoir les flux économiques, mais limiter ceux de personnes Humaines ?  

Si aujourd’hui la globalisation a considérablement réduit  la taille de  notre planète, paradoxalement, elle a érigée d’immenses murs face à ceux qui osent à pousser la « porte ». Les problèmes économiques, politiques et écologiques inhérent à la mondialisation ont poussé à la fuite et jeté sur les routes des millions de personnes.

                 « Eux c’est nous » est là pour nous rappeler la douloureuse question de l’étau migratoire et invite chacun à s’interroger sur ce qui ferme «  notre porte », sur ce qui cloisonne notre monde, sur ces passerelles qui bien souvent se ferment. J’ose croire qu’une part de ces réponses se trouve au fond de chacun d’entre nous dans  « un dialogue silencieux. »

 

Elodie

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  1. «  Petit traité sur l’immensité du monde » Sylvain Tesson.

  2. « Terre des Hommes » de Saint Exupéry

  3. «  Eux c’est nous » Peinture acrylique et collage sur isorel, Tom n ° 1 de mon triptyque en cours de réalisation. « eux c’est nous » est aussi le nom emprunté de l’ouvrage coécrit par Daniel Pennac,  Jessie Magana et Carole Saturno, à partir des 8 lettres du mot RÉFUGIÉS, proposant 8 courts textes pour aider les plus jeunes à comprendre.

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